dimanche 23 juin 2013

De quoi le média BD est-il le nom ?

Prenez la dernière BD scénarisée par Jean-Pierre Filiu, spécialiste reconnu d'Al Qaida et du monde arabo-musulman. La couverture est classique, la quatrième de couverture affiche le petit logo d'Amnesty International qui va bien. Un feuilletage rapide empêche de voir l'immanquable. Le Printemps des arabes n'est pas une BD.



C'est quoi une BD ? C'est une façon de raconter des histoires qui mêle dessin et texte. Des savants y ont consacré des livres entiers (à commencer par l'indispensable "Lire la bande dessinée" de Benoît Peeters). On retient d'un bon album de BD des cases mémorables. Les Sept Boules de Cristal ? Le moment où la momie inca Rascar Capac enjambe l'appui de fenêtre de la chambre de Tintin, boule de cristal en main.  Blake et Mortimer ? L'incroyable poursuite en ombres chinoise de la mystérieuse silhouette, dans les grues de la centrale de Battersea, dans La Marque Jaune.  La liste est longue.

Dans le cas précise du Printemps des arabes, le support BD ne sert en fait qu'à mettre en scène un cours magistral de Jean-Pierre Filiu, un peu comme si on avait illustré son "Introduction à l'étude du printemps arabe" prononcée devant des étudiants à la Sorbonne. Le texte et le dessin coexistent sans se mêler. Le dessin illustre le propos, rendant sa lecture un rien redondante. Nous voilà revenus aux pionniers de la BD du XIXe siècle, Töppfer et consorts, quand le texte décrivait exactement la scène dans la case.

Le livre est divisé en chapitres... qui décrivent chacun la situation dans un pays ou dans une ville. A de rares exceptions près (le chapitre sur la ville syrienne Alep ou celui sur les rappeurs de Gaza notamment), on cherchera en vain des personnages de chair et d'os qui parlent et qui vivent dans le récit. D'où l'impression de superficialité qui se dégage du livre.

Est-ce un problème consubstantiel à la BD universitaire ? Le même Jean-Pierre Filiu n'avait guère mieux géré l'existence des dialogues dans Les meilleurs ennemis, une passionnante description des relations entre les Etats-Unis et le Moyen Orient. Mais le propos tenu était beaucoup plus original. Le talent du dessinateur, David B, faisait le reste. L'ouvrage pouvait presque s'apparenter à un conte narré au coin du feu par un vieux sage.

La BD n'a-t-elle été choisie dans le cas du Printemps des arabes que pour mieux vulgariser une cause auprès d'un public peu converti ? Pas sûr. Les études du ministère de la Culture montrent que le noyau dur des lecteurs compulsifs de BD est aussi celui qui engloutit le plus de livres et de journaux. Pour prêcher des convertis, peut-être aurait-il mieux valu développer une histoire vraiment originale, pas un patchwork de petits instantanés trop universitaires, et manquant de chair...

A lire aussi
- Jean-Pierre Filiu raconte un débat organisé à Gaza autour de sa BD sur son blog hébergé par Rue89